La destruction des Tours Jumelles en 2001 marque le début des opérations militaires américaines en Afghanistan. Dans la foulée, l’opinion publique occidentale est rendue attentive à la situation des femmes sous le régime taliban… Et la burqâ devient un symbole de la répression islamiste.
En réalité, la condition dramatique des Afghanes est le résultat d’une combinaison complexe de facteurs historiques, anthropologiques, politiques et économiques [Mann, 2010].
Ce ne sont pas des années, mais des décennies de guerre qu’elles ont affrontées, au sein de la pire société patriarcale du monde. Au gré des occupations russe, puis américaine, des actions visant à améliorer leur statut ont été menées. Elles ont transformé leur sort en une succession d’avancées vers la modernité, puis de régressions violemment imposées par les tenants religieux de la tradition et du code tribal pachtoune.
En ce printemps 2024, dire que l’état du pays est préoccupant est un euphémisme. Les besoins humanitaires atteignent des niveaux record, avec plus de 29 millions de personnes dans une impérieuse nécessité, une augmentation de 340 % au cours des cinq dernières années. Le 20 décembre 2023, Ramesh Rajasingham, chef de l’OCHA[1], affirme que « Depuis deux ans, les filles et les femmes [afghanes] sont marginalisées dans presque toutes les formes de la vie publique ».
Dit autrement : leur place est soit à la maison, soit au tombeau. Aucune femme ne fait partie des 84 234 diplômés de l’enseignement secondaire qui ont participé cette année à l’examen d’entrée à l’Université. Et pour cause : le 24 mars 2022, les écoles secondaires pour filles ont été purement et simplement fermées. Le gouvernement taliban a remplacé le Ministère des Droits des femmes par le Ministère de la Propagation des mœurs et la prévention du vice.
Le témoignage d’une mère de famille, Benafsha, habitante de Mazar-e-Sharif, recueilli par Lamia Abdul [2023], pose l’enjeu à moyen terme : « Nous savons bien que sans le savoir et la culture, nos enfants ne peuvent pas apprendre à avoir un esprit critique ni acquérir une ouverture d’esprit et une tolérance en tant que citoyen du monde ».
Au cours de la décennie 2010, de nombreuses militantes Hazara se sont battues contre la discrimination de genre et ethnique, surtout à Kaboul [Moussavi, 2016]. Parmi elles, on peut citer Fatema Akbari, fondatrice de la Gulistan Sadaqat Company et de l’organisation non gouvernementale Women Affairs Council. Cependant Farooq Yousaf [2023] estime que face aux harcèlements subis par les féministes, il faudrait repenser la lutte pour l’égalité des chances en Afghanistan en s’adjoignant des hommes, de manière visible. Le chercheur pense que ce sont des alliés à placer en première ligne, qu’ils soient motivés par leurs connaissances approfondies des enseignements de l’Islam (qui promeut l’acquisition des connaissances pour tous, garçons ou filles), ou juste concernés par le sort pitoyable de leurs sœurs et de leurs filles.
Dans le prochain reportage dessiné publié aux Editions Félès – signé Marco Sonseri et Gian Luca Doretto – la parole est donnée à Hussain Razai, un homme donc. Un réchappé. Cet Hazara a occupé un poste dans l’administration de l’Etat au milieu des années 2010. Comme d’autres membres de sa communauté, il a saisi les opportunités offertes par les avancées en matière d’égalité et par l’accès plus facile à l’éducation. La disparition de sa fiancée – Najiba – est un traumatisme qu’il est parvenu à transformer en engagement politique en créant la fondation éponyme Najiba. Malheureusement le coût à payer de cet engagement est élevé puisqu’il a dû s’expatrier, se réfugier en Italie.
En tant qu’éditrice, faire connaître ce destin singulier au cœur d’une région du globe concentrant toutes les calamités imaginables m’apparaît comme un devoir, cela même si cela ressemble à une goutte d’eau dans l’océan. Les analyses journalistiques, scientifiques ou géopolitiques de la situation amènent toutes à la même conclusion : les pires ennemis des femmes et des enfants afghans sont l’insécurité et l’abandon à leur sort par la communauté internationale…
Blandine Lanoux Claverie
Bibliographie :
ABDUL Lamia, “Survivre sous le régime des talibans : témoignages de femmes afghanes (II)”, Revue L’autre 24.1, p 126-131, Edition La pensée sauvage, 2023.
YOUSAF Farooq. “Making Visible The Afghan Men Who Are Working For Women’s Rights And A Gender-Just Society”, Rapport du WILPF (Women’s International League for Peace and Freedom), 2022.
JEDIDI Sonia, “Levons le voile sur les femmes en Afghanistan”, Revue Hérodote 2, p 121-133, Editions La découverte, 2010.
MOUSSAVI Fakhereh, “L’évolution de la condition des femmes afghanes après 2001 : le rôle des femmes Hazaras dans dynamique sociale, économique et politique” ; Les Hazaras d’Afghanistan : quelles évolutions depuis 2001 ? “, Groupe interparlementaire d’amitié France-Afghanistan Conseil mondial des Hazaras, Sept 2016, PARIS, France, 2016.
MANN Carol, Femmes afghanes en guerre, Editions du Croquant, 2010.
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[1] Aux Nations Unies, OCHA : Office for the Coordination of Humanitarian Affairs